Démolition

La blessure invisible


Moi qui ne la pensais pas si profonde, moi qui croyais la soigner en écrivant, moi qui espérais que le temps calmerait les choses, j’ai l’impression de combattre un fantôme. Car c’est impossible : ma blessure, celle qui me fait si mal, je ne sais pas où elle est. Elle se cache, m’appuie sur le coeur, me noie dans mes larmes, me déchire tout espoir et m’écrase contre le sol.

"Tu sais Sophie, on est là pour toi. Tu n’en as peut-être pas l’impression, mais même ton grand frère est là. Il demande toujours comment tu vas."

Alors je fantasme sur ce que serait ma vie si je n’avais pas le corps aussi chargé, je m’imagine être moins lourde d’histoires et je me sens presque ridicule de vivre autant dans mon passé. Où sont mes erreurs ? Pourquoi est-ce que je pense autant à celle que j’étais ? J’ai l’impression de ne plus savoir prendre soin de moi alors que cela faisait partie de mes priorités - alors ce matin, encore dans l’obscurité de ma chambre, j’ai décidé de ne pas me rendre au travail. Je suis épuisée, je fais des crises d’angoisse dès que mon réveil sonne. Cela fait longtemps que je n’ai plus de force mentale, mais aujourd’hui j’ai senti qu’on attaquait mon corps, mes muscles, mes nerfs.

C’est un peu comme si je m’étais perdue dans une épouvantable tornade, un peu comme si une terrible tempête m’avait happée et emmenée dans ses remous pour toujours. J’ai peur de celle que j’aurais dû devenir mais peut-être encore plus de ce qui m’anime depuis plusieurs mois. J’ai envie de revivre mon accident de voiture, de penser mourir mais de ne pas mourir, de vivre et d’avoir à nouveau cet incroyable frisson qui me parcourt le corps, d’avoir à nouveau mal à en avoir envie de clamser - même si c’est encore le cas dès que je fais des mouvements trop répétitifs. J’ai peur car tout ce malheur, ça me plaît. Et, aussi mélancolique et étrange que je puisse être, mon attirance pour la noirceur n’avait jamais été aussi puissante.

"C’est malheureux, mais si vous ne parvenez pas à l’identifier formellement, nous serons obligés de clore cette affaire."

J’attends cette rencontre depuis quatre mois alors je ne sais pas du tout comment je vais réagir - dans mes cauchemars, ma colère se déchaîne et je me jette sur elle. Je l’accuse de tous les maux de ma vie, j’excuse la déprime et l’intériorisation de mes sentiments par ce qu’elle nous a fait, à ma voiture et à moi. Mais la vérité, c’est que je suis déjà très heureuse que la police ait fait son travail et qu’elle ait retrouvé la propriétaire du véhicule incriminé. Sauf que voilà le problème : cette femme, elle n’a ni permis de conduire ni assurance. Et pire encore : elle nie.

Bonjour Madame, 

Je vous contacte pour vous confirmer m’être entretenu avec la propriétaire du véhicule,
qui a été entendue. Il faudra, avec votre accord, organiser une confrontation,
car ELLE NIE LES FAITS.

Elle nie les faits. Elle nie les faits. ELLE NIE LES FAITS. Je me souviens comme d’hier du jour où j’ai reçu ce message, ce jour où je l’ai relu plusieurs fois pour être certaine que je ne rêvais pas. J’étais dans le brouaha du travail, toute seule, isolée mais à la fois si proche du bruit que les foules peuvent faire. Je ne sais plus vraiment, mais j’ai cru que c’était peut-être une hallucination, que j’allais me réveiller et que ce n’était qu’un cauchemar. Je savais que la procédure prendrait du temps mais naïvement, j’ai pensé qu’être la propriétaire de la voiture la condamnait déjà alors que pas du tout. Et alors, j’ai pleuré.