Démolition

L'étape cruciale


Les mains moites, les larmes aux yeux, la peur au ventre, je me suis lancée et j’ai tout arrêté. Mes paroles ont ralenti et accéléré le temps à la fois, on a parlé pendant des heures ; et on ne savait plus si on devait pleurer ou se serrer aussi fort que possible. Son visage qui se déforme et ma voix qui sonne grave m’ont presque traumatisée.

Et puis, l’air sûre de moi, je lui ai expliqué que j’allais prendre mes affaires et rentrer à la maison, loin de lui, loin de nous.

Sauf qu’en réalité, je n’étais pas certaine et je ne suis pas encore certaine de ce que j’ai fait la semaine dernière. En réalité, j’ai peur d’avoir fait une énorme bêtise. En réalité, je suis toujours aussi mal parce que ce n’est qu’un premier pas vers ma guérison - qui arrivera, je l’espère. Si les autres voyaient mon mal-être grandir et me savaient au plus mal, ils n’ont pas compris notre séparation.

"Si tout se passait bien entre vous, pourquoi elle t’a quitté ?"

J’ai si peur que cette question me revienne dans la figure si un jour je regrette, comme si le couple était une fin en soi, comme si mes émotions n’avaient plus grand chose à me dire. Cela fait des mois que je ne ressens plus que du vide, un vide qui me submerge - un peu comme un immense trou noir qui m’aspire et me rejette à la fois, un peu comme le vent qui me déséquilibre, un peu comme une vague qui me noie.

Alors, en boule dans notre ancien canapé-lit, pendant qu’il se faisait une bière avec les copains, j’ai réfléchi. Cela faisait longtemps que je n’avais pas fait ça, mais j’ai essayé de plus penser à moi qu’à lui. Je n’ai pas réussi, mais cette petite introspection m’a tout de même poussée à m’en aller.

Il m’est impossible de me soigner dans un présent où le passé surgit constamment, où des flash me poursuivent dès que ses lèvres caressent les miennes. Il m’est impossible d’avoir peur de lui alors qu’il m’a toujours protégée. Je ne peux pas croire que mon cerveau associe cet homme aux plus horribles choses de ma vie. Alors je me suis regardée moi-même, et j’ai compris que j’étais la seule personne capable de faire cesser cette douleur grandissante.

"Pourquoi est-ce que tu fais les choses comme ça ? On pourrait faire autrement, je suis sûr qu’on pourrait faire autrement… On s’aime !"

Il s’est énervé. Cette colère, cette envie d’être avec moi, cette ardeur, cette peine… il a réussi à concentrer toutes ces émotions dans son regard et j’ai presque hésité. La pression n’est pas encore redescendue - je me sens encore très coupable de ce que je lui ai fait subir. Mais au fond de moi, il y a eu un moment où j’ai appris quelque chose de plus important que n’importe quoi d’autre.

Je me suis levée du canapé-lit, je n’ai pas rangé les couvertures et je suis partie dans la salle de bain. Incapable de pleurer, éprise d’un gigantesque sentiment de honte, je me suis observée dans le miroir. Dans mes yeux, j’ai vu de petites égratignures mais aussi des blessures plus profondes. Et j’ai appris que la seule pour qui je devais être là à présent, c’était moi-même.