Mécanique du coeur
C’est comme si je n’étais plus que spectatrice de tout ce que je fais ; parfois, un peu comme lorsque je conduis sur un chemin que je connais par coeur, je perds le fil mais je continue. Comme une petite automate, je ne me pose plus aucune question, je ne ressens plus d’émotions, je deviens mécanique, je ne me demande plus ce que je fais ici. Lorsque l’interrogation m’effleure, elle est vite oubliée.
Et cette fâcheuse habitude, à moins qu’elle ne soit temporaire, est et sera à tout jamais mon plus grand défaut, je crois bien. C’est comme si mon énergie était sans cesse au plus bas, comme si une cicatrice inguérissable s’était creusée en mon coeur.
Je me réveille sans but précis, je travaille en feignant la conviction et la confiance, j’essaie de m’ancrer dans l’espace mais cette impression de vide intérieur ne fait que bâtir ce mur entre le monde et moi-même. Et petit à petit, je me durcis ; peut-être ai-je besoin d’être seule pour guérir, mais j’ai l’impression de devoir réapprendre à me connaître. Qui suis-je, au fond ?
"Pour ma part, j’ai noté que tu es quelqu’un sur qui on peut compter, mais aussi que tu ne te mets pas assez en avant."
J’ai échangé quelques mots avec un de mes supérieurs il y a quelques semaines, et il m’a fait remarquer que ma discrétion peut malheureusement me desservir. Et si cette conversation avait surtout un objectif professionnel, elle résonne en moi depuis pas mal de jours. Je ne me sens pas épanouie sous cette réserve que j’ai forgée autour de moi, sous cette carapace qui ne dégage plus grand chose. Et je sais exactement pourquoi je n’arrive pas à montrer aux autres celle que je suis : je ne le sais pas moi-même.
Il faudrait que je puisse comprendre tous les rouages de mon coeur et tous ses tréfonds pour savoir où j’en suis, et cela va prendre du temps. C’est d’ailleurs pour ça que je me suis remis à écrire. C’est quelque chose que je fais depuis que je suis enfant et j’ai subitement arrêté lorsque je me suis mise en couple, comme si l’autre mais aussi les autres en général devenaient plus importants que mes propres raisons de vivre.
Mais où est passée ma verve, où est passée mon inspiration ? Elles sont tapies ailleurs mais je ferai tout ce que je peux pour les récupérer. Je veux à tout prix leur redonner vie, elles qui logent sans doute encore quelque part en moi. Je veux à tout prix revivre un peu dans ce monde onirique que j’arrivais à créer en tapant quelques lignes sur le clavier.
"C’est vrai, je crois savoir communiquer mais j’ai l’impression que mon manque de confiance en moi me bloque un petit peu."
J’ai la sensation étrange d’être perdue entre souvenirs et présent. Aucun chemin n’est linéaire bien longtemps, mais comment ai-je pu perdre ma propre trace ? Je me retourne et je me reconnais vaguement, je regarde la Sophie d’avant et cette vision m’inonde de mélancolie. On dirait presque qu’il serait facile de remonter en arrière mais qu’il serait moralement compliqué de le faire. Car à quoi bon ? J’ai envie d’évoluer, bien que je ne sache plus vraiment par où et par quoi commencer.
Alors s’il faut décortiquer mon esprit et faire le tri dans ma tête, je le ferai à fond. Je ne sais pas encore si j’aurai besoin d’outils, de livres ou de musique, mais je fais déjà revenir l’écriture petit à petit dans ma vie. J’ai l’impression de tâtonner, mais pour la première fois depuis des mois, je peux enfin le dire : je ne suis plus un robot.