Démolition

Amnesia


Les jambes encore tremblantes, je grimpe sur la banquette arrière de la voiture ; ses parents à l’avant, lui et ses soeurs à l’arrière, on vient de manger au restaurant tous ensemble mais je me sens encore si mal. Je me rappelle encore beaucoup trop bien de ce qui s’est passé la veille, même si j’aimerais tant me persuader de n’avoir jamais vécu des choses pareilles.

"Non, non… Arrête, s’il te plaît. Je n’ai pas envie, c’est trop, Giovani. J’ai pas envie que tu fasses ça si fort."

C’est lorsque j’attache ma ceinture de sécurité et que la boucle vient frotter mes seins que tout rejaillit en moi : je lui ai dit non et il l’a quand même fait. Je lui ai dit non et il a fini par me blesser. Le matin, j’avais des marques sur la poitrine et très mal un peu partout ; et à la fois, je me sentais étrangement très bien, je me disais "oui, c’est comme ça qu’on couche ensemble". Je lui ai parlé et il a fait semblant de ne pas entendre la peur dans ma voix - c’est un peu comme me dire que je ne suis personne, un peu comme me prouver que mon corps ne compte pas dans l’équation.

Il y a un soir où j’ai vraiment eu peur de ce qu’on faisait - ou plutôt, peut-être, de ce que lui me faisait. L’obscurité de la chambre, à peine baignée par le faisceau lumineux de la lune, donnait à la scène un côté encore plus effrayant ; alors d’un coup, je me suis mise à pleurer et j’ai allumé la lumière. Les yeux écarquillés et le corps grelotant, je me suis blottie dans le coin du lit le plus loin de Giovani. Il a très mal réagi et m’a reproché d’avoir trop bougé et que c’était pour cette raison que j’avais paniqué, que je n’avais pas à pleurer, que c’était lui qui devrait être mal et pas moi.

Pendant des mois, il a retourné la situation pour me faire croire que je n’étais pas une bonne copine et que ce qu’il faisait était normal. En plus des abus sexuels, il me faisait culpabiliser en m’expliquant que mes messages le rendaient nerveux et que je ne devrais pas lui envoyer plus d’un message toutes les trois semaines. Complètement sous son emprise, je l’ai cru ; j’avais peur de lui, lui qui savait me manipuler comme une marionnette. Les jours passaient et je savais que je ne pourrais jamais être heureuse avec lui mais je continuais - je n’avais pas spécialement envie que ça change, je n’attendais rien de sa part. Mon fantasme, c’était de rester avec lui, de devenir sa femme et la mère de ses enfants. J’aimais sa famille, j’aimais beaucoup son père ; et surtout, j’étais amoureuse d’un fantasme créé de toutes pièces.

"Sophie, ressaisis-toi un peu, putain. Tu te rends compte que t’étais évanouie et que tu viens à peine de reprendre tes esprits ? On dirait un légume ! Et pleure pas, c’est moi qui devrais pleurer à ta place, c’est moi qui ne suis pas bien là. C’est toi qui agis comme si j’allais te perdre."

Dans ma tête, il ne me secouait jamais lorsque j’avais des crises d’angoisse. Il ne me disait jamais que j’étais chiante et ne racontait à personne que je ne savais pas ce que je voulais. Dans ma tête, il était à mon écoute et n’essayait pas de me façonner une personnalité. Il ne continuait pas à me pénétrer lorsque je perdais connaissance et il ne me crachait pas au visage sans mon consentement. Dans ma tête, il était tout le contraire de ce qu’il était vraiment. Il me disait je t’aime et c’était vrai. Il me disait je t’aime et c’était évident.