Démolition

Cible en vue


J’adorerais mieux me connaître pour savoir comment reconnecter ces fils qui se détachent les uns des autres et pour couper les connexions qui ne devraient plus s’y faire.

"Le cerveau a encodé en profondeur la mémoire traumatique, car les émotions étaient trop violentes à gérer."

J’ai parfois l’impression d’être devant quelqu’un que j’aime mais aussi devant une parfaite inconnue - l’impression de savoir dans quels tiroirs fouiller pour guérir mais d’avoir peur de regarder tant mes cauchemars y moisissent depuis des années.

Mais je me suis fait une promesse en ouvrant ce journal - un journal intime, oui, mais aussi un journal de bord, un témoin salvateur - et je compte la tenir. Je suis en vacances, j’ai du temps devant moi et pourtant je repousse toujours autant ce que je veux faire pour aller mieux. Il y a un peu plus d’un an, la psychologue que j’ai vue m’a parlé des pistes auxquelles elle pensait pour me soigner. Si l’EMDR m’a beaucoup intéressée, celle qu’on m’a proposée m’impressionnait et me faisait encore plus peur : l’intégration du cycle de la vie.

"Si quelque chose rappelle l’événement, alors le corps entier va se mettre en alerte, inconsciemment, à l’insu de la personne."

Si la seule défense que mon cerveau trouve pour me protéger est d’oublier, mon corps est parfois enveloppé d’une aura sombre. Il pèse alors sous le poids de flashbacks que je n’arrive même plus à situer dans le temps. Souvent, je ne sais même plus si ce que j’ai vécu est arrivé ; tout n’est devenu qu’images, sons et sentiments - mais je ne parviens ni à m’en détacher, ni à me dire que c’est bien moi qui ai vécu les violences. J’ai repensé aux mots de cette psychologue avec qui ça n’avait pas spécialement matché, et c’est comme ça que j’ai vu ma toute première porte de sortie : je suis peut-être assez forte, à présent, pour retracer les grandes lignes dans le temps et dans l’espace.

C’est la seule chose qui compte à mes yeux : comprendre que j’ai bien vécu quelque chose de grave mais savoir aussi que je ne mérite pas de bloquer dessus toute ma vie ! J’ai la boule au ventre à l’idée de commencer ce travail sur moi-même mais à la fois, je me sens prête à ranger tout ce que je n’ai encore jamais osé toucher. Il y a aussi autre chose que je dois prendre en compte : juste après ma rupture, mon comportement s’est souvent empreint de désinvolture et d’une spontanéité presque dérangeante.

J’avais soudain envie de baiser alors que ma sexualité est cassée en mille morceaux, j’avais envie de sortir tous les soirs et à la fois d’écrire tous les jours. C’est une incompréhension qui me rappelle également que je ne suis qu’au tout début d’une fastidieuse guérison. Si rien ne me laisse croire que le chemin sera long, rien ne m’indique non plus que je suis sur le bon chemin. Je vais peut-être tout rater, tomber plus bas que je ne le suis déjà, ne plus me faire confiance et me détruire ; mais si c’est par là que je dois passer pour me reconstruire, alors je garde les yeux sur ma cible.

Je me veux moi. Heureuse. Traumatisée. Entière. Guérie et consciente.