Démolition

La notification


S’il me semble impossible de poser un mot devant l’autre sans tout effacer immédiatement, c’est peut-être parce que je suis déboussolée par tout ce qui se passe. Tous les jours, j’ai hésité à poster - et j’ai manqué de temps pour moi, car je l’ai passé avec les gens que j’aime.

C’est aussi ça, guérir : trouver le courage d’en parler aux autres et voir dans leurs yeux que je ne suis pas seule. Et si j’avais su à quel point cela me ferait du bien, je l’aurais fait depuis plus longtemps.

"Du coup, il y a un truc dont tu voulais me parler, Sophie, c’est bien ça ?"

"Oui, c’est un truc important. Je vais commencer à te le dire ici, pendant qu’on est encore dans le train pour rejoindre les autres, mais je ne sais pas si j’arriverai à tout te raconter. Je ne sais pas si j’arriverai à ne pas pleurer. Je ne sais pas si j’arriverai à tout te dire pour que tu comprennes."

Même si ma meilleure amie et moi nous sommes rencontrées alors que nous avions cinq ans et qu’on en a aujourd’hui presque 24, parler de mes viols restait quelque chose d’incroyablement difficile. J’avais peur qu’elle passe par le même état que moi : la sidération, le déni, l’oubli, le doute, la dédramatisation. J’avais peur qu’elle me demande "Mais, tu es sûre de toi ?".

En réalité, elle a tout de suite fait le lien avec le comportement de mon copain de l’époque et avec ma récente rupture. Elle a tout de suite compris qui m’avait fait ça et pourquoi je panique autant depuis plusieurs années. Elle m’a écouté pendant une ou deux heures - je ne sais plus combien de temps j’ai parlé, j’ai évité de m’attarder sur les détails pour éviter de la choquer mais j’ai eu l’impression d’être libérée d’un poids qui pesait beaucoup trop lourd pour mes épaules.

Alors évidemment, je n’ai pas fini de m’en décharger et j’ai encore besoin de trouver le courage d’appeler un psychologue. Même si j’ai repris le travail depuis quelques jours, j’ai profité de ma semaine de vacances entre amies pour me vider la tête et surtout pour créer la frise chronologique de ma vie. Je n’ai pas l’intention de travailler là-dessus toute seule du début à la fin, mais m’inspirer de la thérapie de l’intégration du cycle de la vie me permet de me ressaisir un peu.

"L’intégration du cycle de la vie repose sur le fait de relancer l’intégration neuronale pour ainsi soutenir cette capacité naturelle du corps et du psychisme à se guérir."

Parce que oui, maintenant que je vais un peu mieux quant à ma rupture, il faut que je rebondisse et que je me soigne. C’est pour cette raison que j’ai quitté ma relation, c’est pour cette raison que j’ai ouvert ce journal, qu’il soit lu ou qu’il ne soit pas lu - il reste le meilleur moyen de vivre mon évolution au plus proche possible de la réalité.

Je viens de recevoir une notification.

"Votre rendez-vous du Lundi 16 Janvier 2023 est confirmé.
En cas d’imprévu, pensez à le déplacer ou à l’annuler le plus tôt possible."

OK. J’ai réussi. Et cette fois, c’est promis, je suis prête.