Démolition

L'engrenage infernal


"[...] Je me disais qu’il te réservait toute sa douceur et son affect, mais je me suis sans doute trompée."

Elle a beau être inconsolable et me faire de la peine, cette maman fait parfois réfléchir tous les problèmes de la société dans ses paroles. Je ressens alors tout ce que j’ai eu peur de ressentir : l’incompréhension, le jugement, le mépris, les vilaines curiosités qui s’accrochent comme des herbes sauvages, qui s’enroulent autour de tout ce qu’elles peuvent.

Tant dans ma famille que dans la sienne, personne ne comprend mais surtout, personne ne sait ; les siens croient bêtement que c’est la faute du mec. C’est un peu comme dans les plus grands fantasmes à l’eau de rose : c’était sans doute un amour impossible, un amour incroyable, et c’est certain, il m’a blessée, trompée et souillée d’insultes. Je n’arrive plus à me justifier - mais quand je ne dis plus rien, les autres croient le pire.

Ils croient que c’est de ma faute ou de la sienne, qu’il est impossible qu’on ne s’aime plus, que le passé ne peut pas gâcher les vraies histoires. Alors peut-être que oui, ils ont raison ; peut-être que oui, je regretterai. Mais ils n’ont plus le droit de discuter mon départ. Cette maman n’a pas le droit d’appeler son fils et de lui dire qu’il s’est mal comporté alors que c’est faux.

"Je peux te poser une question ? Sur une échelle de 1 à 10, tu penses te situer où, niveau confiance en toi ?"

Mon chocolat chaud entre les mains, je me rends compte que cet après-midi avec ce nouveau pote vire au date ambigu ; comme ça, sorti de nulle part, il se met à me demander ce qui me plaît chez lui alors que je n’ai jamais manifesté mon attirance - qui n’existe pas, d’ailleurs. Petit à petit, ses questions et ses mimiques me rappellent à quel point je déteste ce jeu entre êtres humains ; ce jeu de la meilleure impression, ce jeu d’ego, ce jeu de l’analyse de l’autre qui a l’air de plaire à certains. Il me dit que j’ai tout de suite été un challenge à ses yeux, qu’il veut que je me rappelle de lui.

Je le regarde droit dans les yeux, lui qui vient de me dire qu’il m’a invitée parce que je lui plais et qu’il me trouve mignonne - le déséquilibre se crée quand j’insinue que je suis venue car on bosse ensemble et que je n’avais encore jamais passé de temps avec lui. On dirait qu’il déguise sa timidité sous la provocation : il prétend que je suis craintive, que je n’ose même pas le prendre dans mes bras alors que j’ai froid comme jamais et m’explique qu’il aime la franchise. Ca me plaît et ça m’insupporte à la fois. Je me noie parfois dans ses yeux noirs ; j’ai beau chercher, je ne trouve rien mais je passe un bon moment. Tout est juste un peu bizarre, un peu trop calculé.

"Quand on s’est recroisé un peu par hasard et que tu m’as dit que tu te souvenais vaguement de moi, j’ai pris ça comme un défi. Je me suis dit qu’il fallait que tu te rappelles."

C’est la toute première fois que j’ai l’impression de n’être qu’une fille sur laquelle on se jette. Une fille qu’on caresse de compliments, une fille à qui on lance des regards qui disent "un jour, tu verras, je t’aurai", une fille qu’on fait semblant de respecter mais qu’on juge sur tout ce qu’elle dit. Et cet engrenage infernal, je suis enfermée dedans depuis ma rupture. J’essaie de m’ouvrir aux autres et de me rapprocher de ma famille, des gens avec qui je travaille, de ceux à qui j’adresse rapidement la parole - après quelques semaines enfermée chez moi, cela me fait du bien de voir de nouveaux sourires, de connaître de nouvelles personnes.

J’essaie parfois de me raisonner et de me dire que ce ne sont que des coïncidences ou que j’y suis sans doute pour quelque chose. Mais cet après-midi entre potes qui se transforme en rendez-vous amoureux m’a clairement fait valdinguer le coeur dans tous les sens. Je n’avais jamais imaginé qu’un nouveau pote pouvait me dire des choses aussi directes sans avoir joué un peu avec moi d’abord. Je vois un peu ça comme de l’égoïsme, comme le gâchis d’une potentielle amitié, comme le déguisement d’un fort intérêt sous un discours détaché qui sonne terriblement faux. Et comme j’ai peur d’être coincée dans ce schéma toxique, cela me rend mélancolique.