Démolition

La rage de vivre


Cet accident, c’est la porte de sortie que je cherche depuis plusieurs mois ; c’est le déclic, la gifle, la vrille, le choc, la vibration que mon corps avait besoin de ressentir pour sentir sa place dans le monde. J’ai téléphoné à l’homme qui m’a sauvée - il m’a donné de terribles détails sur ce qui s’est réellement passé.

"Il y a eu de la fumée qui a commencé à s’échapper de l’avant de la voiture, alors on a fait aussi vite qu’on a pu. Je n’avais qu’une idée en tête : vous sortir de là, morte ou vivante."

Ma voiture n’a fait aucun tonneau : la collision l’a fait voler contre le mur central, elle a volé à environ trois mètres de haut, a fait quelques vrilles dans les airs et s’est écrasée au sol. Je m’imagine à l’intérieur et c’est impressionnant. "Des vrilles ? Alors, quand je me suis sentie secouée dans tous les sens, ma voiture n’était pas au sol ?" Mon interlocuteur acquiesce et me donne pas mal de détails sur le reste des événements.

Le fait qu’il n’arrivait pas à ouvrir la portière pour me dégager et qu’il ait fini par briser la vitre. Qu’il ait rapidement demandé à quelqu’un d’éteindre le contact de ma voiture alors que j’étais persuadée, sur le coup, que le moteur s’était de toute façon fait bousiller. Que la 206 s’était violemment fait projeter dans les airs, qu’elle avait entamé une vrille et qu’elle était retombée avant de glisser sur quelques mètres. Que des débris de verre et plein de morceaux de carrosserie aient volé sur les voitures des usagers autour de nous. Qu’il n’ait jamais, de sa vie, été témoin d’un accident aussi violent. Moi, je lui ai juste dit que je ne le réalisais sans doute pas encore, mais qu’un jour je repenserai à lui en me disant que je lui dois beaucoup.

"Ce qui m’a le plus choqué, c’est de voir qu’au lieu de s’arrêter pour vous venir en aide, les gens filmaient la scène. Ils vous filmaient. J’en ai entendu dire que vous deviez être au téléphone et que l’accident était sans doute de votre faute. Un accident si violent leur a fait perdre leur humanité alors que cela aurait dû être l’exact contraire."

Et cet accident, malgré toutes les galères qu’il engendre, réveille en moi une force indescriptible. Une sorte de je-m’en-foutisme gargantuesque, un truc qui m’envahit toute entière et qui pourrait bouffer n’importe qui. C’est comme si j’avais envie de vivre sans m’arrêter, d’appeler tout le monde, d’être moi-même, comme si d’un coup, je ne comprenais plus pourquoi j’ai eu un jour autant envie de guérir de mes traumas sexuels : ils font partie de moi. Ils sont arrivés. Ils font qui je suis, cela fait partie de mon passé. Cette vrille dans les airs m’a agité le cerveau dans tous les sens ; et j’ai l’impression qu’elle m’a remis les idées en place.

"Monsieur, je crois que dans tout ce malheur, il y a eu du bonheur."