Démolition

Le miracle


Shadows of Sins
Ma tête qui frappe un peu partout, ma main crispée sur le levier de vitesse, mon corps qui se raidit face aux chocs et mon âme toute entière qui hurle.

"Non, je ne veux pas mourir, pas comme ça, pas ce soir !"

Il y a d’abord eu un bruit effrayant : c’est la première fois de ma vie que j’ai pu entendre le temps s’arrêter. On m’est rentré dedans à une vitesse si violente ; le crissement des freins sur le pétrole et l’énorme fracas à l’arrière de ma voiture me reviennent encore et encore à l’esprit.

Un peu comme un cauchemar éveillé, je retrace le scénario dans ma tête pour réaliser ce qui s’est passé hier soir ; je n’essaie pas de me changer les idées, au contraire. Il n’y a eu aucun moment de blanc, aucun passage vide, j’ai juste pensé : "Alors, c’est dans ma voiture que je vais mourir ?". Je me fracasse contre le mur central de l’autoroute, la 206 s’envole, bascule en arrière et là, je suis bousculée dans tous les sens. Je n’ai jamais ressenti ça de toute ma vie : un bras contre mon visage et l’autre sur le pommeau de vitesse, j’ai peur d’être en tort et de tuer quelqu’un sur la route. Je n’ai pas peur de mourir, je subis plusieurs chocs et j’attends d’être écrasée ou de mal retomber.

Après quelques tonneaux, je suis encore attachée côté conducteur, la tête à l’envers - ok, je le comprends très vite, le toit de ma voiture est contre la route. Ma voiture glisse sur quelques mètres, je garde le levier de vitesse dans la main et je me crispe, persuadée qu’un sur-accident va venir m’achever et que je n’aurai plus jamais à penser à quoi que ce soit. A ce moment, j’ai peur d’être blessée gravement et d’éviter la mort ; parce que vu la violence de la collision, il est impossible que je m’en sorte. Et c’est peut-être mieux comme ça.

"C’est vrai que je n’ai jamais eu d’accident, j’ai tellement de chance. Je me demande si les gens m’apprécieraient toujours autant si j’avais une jambe en moins, par exemple. C’est un peu bizarre de penser à ça alors que je suis en train de conduire, non ?" - quelques minutes avant qu’on me rentre dedans

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Dès que la voiture s’immobilise, j’entends freiner tout autour de moi, j’entends des voix, des gens qui hurlent, des gens qui claquent des portières. Je suis morte, enfin ; en tout cas, je ne crois pas, à ce moment-là, qu’il puisse être possible d’être vivante. Dans le doute, je détache toute de suite ma ceinture et je m’écrase contre mon compteur et mon volant : je me souviens très bien de la sensation de liberté que ça m’a procurée, j’avais l’impression d’être prisonnière de ma voiture et ne plus avoir de ceinture de sécurité contre ma poitrine m’a rassurée. Le plus dur reste à faire : je dois sortir, et vite. J’avais peur que le moteur surchauffe, que quelque chose m’explose au visage.

L’adrénaline m’a permis de ne pas avoir peur de ce qui se passait autour de moi, mais toutes les vitres de la voiture ont été brisées. Les jambes un peu tremblantes, j’actionne la portière de la voiture mais je n’ai pas assez de force pour l’ouvrir. La gravité est contre moi : plaquée contre le volant, les jambes dans le vide à cause de ma petite taille, je n’ai pas assez d’appuis pour m’aider. Je me souviens m’être dit "Quelqu’un va me sortir de là, pas vrai ? Quelqu’un va me sortir". Et il est arrivé : mon ange gardien a explosé la portière et m’a délogée des enfers.

Un homme d’une quarantaine d’années m’a attrapée par les bras et m’a mise à l’abri de l’autre côté de la route. Je n’arrêtais pas de crier : "Je suis désolée, oh je suis désolée, je suis vraiment désolée !", et lui essayait tant bien que mal de calmer mes pleurs en hurlant "Madame, vous allez bien ! Vous êtes en vie, c’est incroyable ! Et vous n’êtes pas en tort ! Vous n’êtes pas en tort du tout ! On vous a percutée ! Vous êtes en vie !". Encore sous le choc, j’avais l’impression d’être dans un mauvais rêve : l’obscurité de la nuit et les phares lumineux des voitures tout autour de nous rendait ça terrifiant. Une femme est arrivée vers moi en courant et m’a pris dans les bras.

"Je vous en prie, ce n’est pas de votre faute, c’est moi ! C’est à cause de moi ! Je roulais et j’ai tapé dans votre voiture, c’est à cause de moi tout ça. On va s’arranger, ne vous inquiétez pas, mais ce n’est pas vous ! Vous êtes en vie, c’est l’essentiel." Je l’ai serrée dans mes bras comme si c’était ma mère, puis elle s’est éloignée et trois hommes se sont occupé d’appeler la police, les pompiers et la sécurité.

Beaucoup de monde s’est arrêté pour me venir en aide. L’accident a été si violent - et moi, j’étais debout, vivante, sans une égratignure. Ma tête et mon dos me faisaient juste horriblement mal. Mais sur une échelle de 1 à 10, la douleur était à peine à 7. De l’autre côté de la voie, des pompiers prévus sur une autre mission ont vu qu’on avait besoin d’eux et se sont arrêtés jusqu’à l’arrivée de leurs collègues. Un d’eux m’a pris avec lui et a maintenu ma tête pendant de longues minutes. C’est là que j’ai jeté un oeil à ma voiture : c’était impressionnant.

L’arrière était complètement fracassé, il n’y avait plus de coffre et l’avant était si écrasé qu’on aurait dit qu’il n’existait plus. Plein de pièces de voitures jonchaient la route et mon sauveur, celui qui m’a extirpée de la voiture, s’occupait de rediriger les gens sur la voie de droite. Il a aussi garé sa Mini en diagonale de la route pour nous laisser un peu d’espace ; tous les curieux sortent leurs téléphones et me filment, prennent ma voiture en photo, s’imaginent sans doute que je suis responsable de cet accident. Et d’ailleurs, on se rend compte que la voiture de la criminelle est encore là mais qu’il n’y a plus de passagère à l’intérieur : elle a grimpé dans la caisse de quelqu’un d’autre et elle a pris la fuite. Une pourriture qui se fera vite retrouver. Elle roulait apparemment à plus de 150km/h, et moi j’étais quasiment à l’arrêt car il y avait eu un ralentissement devant moi.

J’ai pleuré pour ma voiture mais aussi pour ma vie : je suis si heureuse d’avoir été protégée et que mes air bag ne se soient pas déclenchés. Je crois que sinon, ils auraient frappé ma poitrine et j’aurais eu encore moins de place et de force pour sortir de la voiture. J’ai pris le numéro de mon ange gardien, je l’appellerai demain pour lui donner des nouvelles ; je lui dois beaucoup, il est resté pour décrire le portrait de la conductrice à la police et m’a énormément soutenue. Il s’est comporté comme un père, c’était rassurant et ça m’a permis de garder mon calme du début de l’accident à mon arrivée aux urgences. Les radios de ma tête et de mon torse n’ont rien donné, même si j’ai un léger traumatisme crânien. Je ne saigne pas. Je n’ai rien de cassé. Je ne suis pas blessée.

J’ai pas mal de médicaments à prendre pour les douleurs traumatiques, qui sont déjà là et qui vont sûrement s’amplifier dans les jours qui suivent, mais bordel. Je crois qu’hier était la pire et la meilleure journée de ma vie. Merci à cette force venue d’ailleurs, cette force qui fait que je suis aujourd’hui ici pour écrire que j’ai la chance d’être encore en vie.